Letizia Le Fur
Solo Show - Art Fair Paris Photo⎜Décolorisation ⎜7.11 - 10.11.2024
Solo show ⎜Le crépuscule des lieux ⎜10.10 - 16.11.2024
Group Show⎜Palmarès ⎜20.06 - 26.07.2024
Art Fair - Barcelone⎜SWAB 2023 ⎜5.10 - 8.10.2023
Letizia Le Fur, vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’école des Beaux-Arts de Tours en 1998, Letizia Le Fur a initialement été formée à la peinture. Encouragée par l’artiste et professeure Valérie Belin, elle oriente rapidement sa quête esthétique vers la photographie.
Lauréate du Prix Paris Je t'aime x Photodays (2023-24), de la Grande Commande de la BNF (2022), du Prix Leica/Alpine (2019) et du Prix Fenêtres ouvertes de la MEP (2020), elle est également choisie comme résidente par le festival Planches Contact de Deauville 2020, par le festival Incadaques 2021 et par le festival Vichy Portrait(s) en 2023.
Nominée au Prix Niepce en 2022.
Son travail fait l’objet d’expositions collectives et personnelles, ainsi que de publications.
Ses livres sont édités par les maisons d'édition Rue du Bouquet, Filigranes et RVB Books.
Le travail de Letizia Le Fur, naviguant constamment entre réalité et fiction, explore les différents champs de représentation de la beauté.
De ses études émerge la connaissance de l’histoire de l’art, la maitrise de la lumière, l’attention à la couleur. Cette couleur si particulière, que la photographe travaille comme un peintre, par petites touches. Et, comme un peintre mélange les couleurs sur sa palette, Letizia Le Fur, isole et transforme, corrige, ajoute, exalte les tonalités, les amplifie pour transcender le réel et créer cette sensation de monde irréel, perché entre le fantastique et le rêve. Sa quête d’harmonie et de beauté, telle la pratique d’un culte, en opposition à la laideur et à l’inapproprié, est libérée et éloignée des codes en vigueur, inattendue, absolue, parfois secrète.
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2024
À venir, Le beau jeu, Office du tourisme, Paris, commissariat Emmanuelle de L'Ecotais
À venir, Décolorisation, Festival photo au Château de Chaumont-sur-Loire
Décolorisation, Paris photo avec la galerie Julie Caredda, commissariat Claire Luna
Alors on danse, Mines de rien, CRP, Douchy-les-Mines
Mythologies, Institut Français de Bilbao
Le crépuscule des lieux, Galerie Julie Caredda, Paris
Mythologies, Biennale MAP, Toulouse
Mythologies, Institut Français de Barcelone
2023
Mythologies, l'Institut Français de Madrid, commissariat Emmanuelle de L'Ecotais
Quadrille au festival, Vichy Portraits, France, commissariat Fany Dupêchez
2021
Les métamorphoses, Festival InCadaqués, Cadaques
L'âge d'or, Galerie Laure Roynette, Paris
Winter Lady, Galerie Leica, Paris
2020
Festival Planches Contact, Deauville, commissariat Laura Serani
Prix M.E.P. /Fenêtre ouverte, Paris
2019
Prix Leica/Alpine, Hit the road, Automobile Club de France, Paris
2018-2019
Prix Leica/Alpine, Hit the road, Galerie Leica, Paris
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2024
Alors je rêverai des horizons bleuâtres, Galerie Faces, Les métamorphoses, Marseille
Mines de rien, La France en face, Hôtel Fontfreyde - Centre photographique, Clermont-Ferrand
Palmarès, Galerie Julie Caredda, Paris
Paysages Monstrueux, Centre Claude Cahun, Nantes
Caruso, Photo-London, Londres
2023
Mythologies, Galerie Arniches 26, Madrid
Mines de rien, (annulée), Domaine de Kerguéhennec
2021
30 femmes photographes luttent contre le cancer du sein, Musée de la Monnaie, commissariat Béatrice Andrieux, Paris
Hors saison, N.N.I.P.A.S, Grands Thermes, La Bourboule
2019-2020
Du jour au lendemain, Paris, commissariat Laura Serani
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2024
Le beau jeu (Prix Paris je t'aime/Photodays), Commissariat Emmanuelle de l'Ecotais, Office du tourisme de Paris/Spot 24
2023
Lauréate Prix Paris Je t’aime x Photodays
Lauréate Bourse de recherche ADAGP
Lauréate Prix Fondation Luis Bassat
Résidence pour le Festival Portraits à Vichy
2022
Nominée au Prix Niepce
Lauréate de la Grande Commande Photographique de la BNF
Pré-séléctionnée pour le Prix Swiss Life
2021
Résidence pour le Festival InCadaqués
2020
Résidence pour le Festival Planche(s) Contact de Deauville
Résidence avec le collectif N.N.I.P.A.S pour la Mairie de La Bourboule
Finaliste pour la résidence de la Fondation des treilles
Lauréate, prix Maison Européenne de la Photographie, Fenêtre ouverte
2018
Lauréate, prix Leica/Alpine, Hit the road et résidence réalisée sous forme de road trip en France
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2024
Monographie Caruso, Editions RVB Books
2023
Catalogue collectif Au coeur du vivant, les liens entre les artistes & la nature, Editions Pyramyd
Monographie Quadrille, restitution de la Résidence à Vichy, éditée par Filigranes
2022
Monographie Mythologies, chap. III Les métamorphoses, éditée par les Editions Rue du Bouquet
2021
Catalogue personnel de l'exposition, Les métamorphoses, Festival InCadaqués, Editions Rue du Bouquet
Catalogue exposition de groupe résidence N.N.I.PA.S. édité par la mairie de La Bourboule
Monographie Mythologies éditée par les Editions Rue du Bouquet
2020
Catalogue Paris, le 13 novembre 2015 - du jour au lendemain - la réponse de 42 artistes, éditions 13onze15 et The Wall Projects
Catalogue, Festival Planches Contact, Deauville, éditions Filigranes
2018
Catalogue personnel, Hit the road, éditions This is not a map
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2024
Mines de rien, FRAC Bretagne
2023
Fondation Luis Bassat
La Collection Bassat est l'une des collections les plus représentatives de ce qu'a été l'art catalan de la seconde moitié du XXe siècle. L'intention de la Collection est de contribuer, à travers l'exposition de ses fonds, à l'explication des événements et des mouvements qui ont conduit à l'art de notre temps. Il compte plus de 3 000 œuvres originales, dont environ 2 500 peintures et dessins et 500 sculptures, et est complété par une importante collection d'œuvres graphiques.
2022
Mines de rien, BNF
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1998
DNSEP, École des Beaux-Arts de Tours
Les métamorphoses 80
« … Guidée par les poètes classiques, notamment par Hésiode et Ovide, Letizia interprète ici librement les mythes, re-visités par sa sensibilité et par une approche esthétique contemporaine.
Sa quête d’harmonie et de beauté telle la pratique d’un culte, en opposition à la laideur et à l’inapproprié est libérée et éloignée des codes en vigueur, inattendue, absolue, parfois secrète. Letizia cherche à transformer et à transcender ce qui l’entoure, à embellir le réel, colorer les gris, s’inventer un monde repaire/repère, où se poser, se réparer, trouver un équilibre au milieu de l'âpreté. A la recherche d’une sorte de refuge esthétique et d’un état de plénitude. Presque une obsession, comme à l’écoute de Stendhal écrivant, dans l’essai De l’amour, « La beauté n'est que la promesse du bonheur. »
— Par Laura Serani, (extrait)
TEXTES
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Une bombe au paradis1
À l’occasion de l’édition Paris Photo 2024, Letizia Le Fur présente Décolorisation, une série de photographies inédites en noir et blanc qu’elle a réalisée à Tahiti. Elle a tourné le dos à ses plages légendaires pour regarder ses terres. L’intérieur – en langage insulaire. Il est tout forêt. Et s’il n’y a pas âme qui vive, l’humain pourrait bien en être le principal sujet.
Regarder Tahiti, c’est un travail, pour se dévêtir de chacun des mythes dont elle a été affublée. Le mythe, d’abord, d’une île paradisiaque et lascive, peuplée de vahinés, aux mille couleurs vives, dépeintes et rapportées par Gauguin. La Polynésie a été envahie au 18e siècle par les missionnaires, et les explorateurs européens. On dit que Bougainvilliers la « découvre ». Il est surtout le premier, depuis son journal de navigation, à avoir généreusement inspiré les fantasmes. Tahiti aujourd’hui : c’est presque l’île générique, celle qui incarne l’ailleurs, le bout du monde2, voire la définition même de l’exotisme.
Letizia Le Fur opère ici un renversement de paradigme à plusieurs égards. La mer turquoise, les cris de ce que l’on appelle la couleur tropicale, l’eau transparente et les verts de sa nature luxuriante, elle les a oblitérés. Ses plages aux cocotiers, effacées. La photographe a vidé l’île des seules substances qui en ont constitué ce que l’Occident a toujours cru être son identité. Elle nous plonge le regard dans le ventre de sa végétation. Elle remplit la feuille. Le papier est plus épais. Sans horizon. Le champ se réduit brutalement. Le point de vue n’est jamais dégagé. Elle induit d’autres manières de regarder – comme l’écouter3
En regardant certaines de ses photos, je peux entendre la voix de Letizia, désenchantée, je lui dis que je sens une végétation tellement exposée à la lumière qu’elle semble par endroits brûlée. Élimée par l’histoire d’un soleil tamisé. Les paysages ne sont pas ceux que l’on attend. Ils sont en noir et blanc. Le noir et blanc de l’histoire, les gris de la chronique. Le noir et blanc de ce qu’il reste quand tout a brûlé. Le noir du calciné. Les teintes plus claires du cendré. Une matière qui vole, plus légère. Qui infiltre les yeux. « Je me suis faite violence » me confie-t-elle. Toute personne qui connait son travail, sait que Letizia Le Fur vient de la couleur. Ici, elle rompt avec ce qui a fondé sa pratique jusque-là. Le choc. Comment dissiper les nuages gris du passé ?
Je tombe sur un autre chapitre de la colonisation : les essais nucléaires. La première expérience atomique du Pacifique. Tout le vivant a été contaminé. Des vies ont brûlé. Ça d’abord été le feu de la radioactivité dans l’atmosphère, puis sous la terre. La France avait prévu d’intervenir sur le massif corse, mais c’est Tahiti qui a été irradiée, contrainte de participer à « la force de dissuasion nucléaire française qui peut et doit à toutes et tous nous assurer la paix »4. Le gouvernement français leur a promis que leur vie était hors de danger, que les effets étaient inoffensifs et qu’iels auraient accès à l’eau et l’électricité. Encore un mythe. Pourtant, les chiffres n’en sont pas : 193 essais nucléaires ont été menés par la France entre 1966 et 1996, ils ont eu un impact grave sur l’environnement, la situation sanitaire et l’ordre social des Polynnésien·nes. « C’est comme si, pendant 30 années, une bombe de Hiroshima explosait chaque semaine en Polynésie. »5 Les séquelles sur tout le vivant, les habitant·es sur des générations, les arbres, les animaux, l’eau des lagons, la forêt continuent d’être gravement affecté·es.
Les victimes d’exister.
Décolorisation dit l’état d’urgence, l’espoir d’une prochaine décolonisation6. Letizia Le Fur sème le trouble en reconnaissant sa très grande beauté à ce paysage qui met du temps à décanter. Si aujourd’hui certain·es artistes ou photographes se sont affranchi·es du corset exotique, ou du cliché touristique, pour rompre avec les représentations colonisées de Tahiti, la figure humaine et les couleurs qu’on lui connait persistent. Dans les photographies de Letizia Le Fur, il n’y a aucune trace humaine mais la forêt et les arbres y sommeillent comme les esprits. Ils disent en creux, ou en hors-champ, à quel point le désert est grand là-bas dans le cœur des humains. Elle rejoue la violence de l’écrasement et de l’effacement qui sont à l’œuvre dans le processus d’occupation. Avec cette lumière inconditionnelle, la photographe aplatit tous les plans de la forêt pour qu’elle devienne le motif d’une suspension et opère comme un totem.
Claire Luna, critique d’art et curatrice.
Commissaire de l’exposition Décolorisation pour Paris Photo.
1. Monica Emond, La Polynésie imaginée ou une bombe au paradis. Mémoire de maîtrise en science politique, université du Québec à Montréal, 2008.
2. « Monsieur le président, vous avez utilisé cette formule en disant que vous étiez loin de l'hexagone. C'est vrai. Mais vous n'êtes pas loin de la France puisque vous êtes la France, puisque je suis en France. Grâce à vous, et je l'ai dit aussi à Wallis et Futuna, la France est partout dans le monde. Et quand on dit qu'on va au bout du monde, je réponds : « Non. On va au bout de la France ». Vive la Polynésie française ! Vive la République et vive la France !». Déclaration de François Hollande, alors Président de la République, sur les efforts en faveur de la Polynésie française, à Tahiti Papeete, le 22 février 2016. Source : élysée.fr, consulté en 09.2024.
3. Dénètem Touam Bona, Sagesse des lianes, Cosmopoétique du refuge, 1, Post-éditions, 2021, p.11.
4 .Tahiti, de l’autre côté du miroir, LSD, la série documentaire, de Delphine Morel, réalisation Nathalie Battus, 4 épisodes,
2020. L’essentiel des références concernant l’histoire de la Polynésie sont extraites de ce documentaire.
5. Propos de Père Auguste Uebe-Carlson, de l’Association 193, « Mururoa ou le colonialisme nucléaire », op.cit, épisode
4/4, 2020.
6. « L’état du système foncier de la Polynésie a conduit l’assemblée générale des Nations Unies à réinscrire la Polynésiesur la liste des pays non autonomes, à décoloniser », op.cit, loc. cit.
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"Avec Décolorisation, Letizia Le Fur prolonge l’inventaire poétique et mystique d’une nature figée dans le temps, un temps qui attend, un temps qui espère.
Le titre évoque, à une lettre près, la décolonisation. Suggérant une culture dévitalisée du territoire polynesien, Letizia Le Fur déshabille les paysages de leurs couleurs et endort les profondeurs de leurs champs. Le cliché exotique est mis à l'épreuve de son histoire profanée : celle de l’occupation et du nucléaire.
À l’image de la culture, c’est une nature qui se perd, qui risque de s’effacer. Le murmure chromatique scande une nature en péril, l’expression d’un monde au lendemain de la calcination, à l’aube de l’uniformisation, où paradoxe et contraste se fragilisent.
Un monde qui souffre de sa perte de singularité, d’identité et donc de vérité, mais qui pulse encore, résiste et persiste.
Car Décolorisation se lit tant comme le récit de l’ultime présence d’une tangible absence, que la prophétie d’une nature en puissance, en renaissance.
Enracinés dans l’eau ou la terre, arbres et plantes s’abreuvent encore.
Les interstices lumineux percent la matière végétale, la toile des images. Ils perforent les paysages statufiés et muets. Ils sont soit les ultimes vestiges d’une civilisation en agonie, soit le présage d'une renaissance, les signes d’une genèse en devenir.
La nature est entité chamanique : elle détient l’énergie capable de relier le réel à un possible, de convoquer un état de conscience et d’existence transcendant les rides du passé.
Décolorisation est un verdict et une promesse. En déroutant le conflit entre ténèbres et lumière, Letizia Le Fur investit la nature d’une force créatrice que l’humain tend à négliger, celle de la métamorphose."
Vanessa Corpet, autrice
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Le crépuscule des lieux
Il y a quelque chose de séduisant dans l’objet usé, le décrépi, le flétri ; dans le vêtement qui s’élime et le mur qui s’effrite, une fascination devant ce qui a été et bientôt ne sera plus, devant la ruine en devenir. Car avant la ruine il y a l’abandon – des maisons vides de tout habitant, évoluant au rythme de leur vie propre – demeures bourgeoises et châteaux solitaires, que Letizia Le Fur a visités et photographiés, par illusion jouant de cette séduction, révélant leur beauté cachée.
Dans ces maisons, il y a des murs de toutes les couleurs, des motifs un peu partout, des colonnes roses en trompe-l’œil et une ampoule posée sur un paysage ; il y a des portes bleues, des roses, des blanches et des dérobées, des lustres qui scintillent et des pianos renversés ; il y a aussi des fissures et des infiltrations, une baignoire un peu trop jaune, des boiseries rouge vif et un lion aux yeux oranges ; il y a une portée de labradors mélancoliques, un chat inspiré dans les bras de sa jeune maîtresse et un aigle qui aimerait bien s’envoler. Dans ces maisons il y a des histoires oubliées, de la joie et de la tristesse, de l’ennui et de l’agitation accumulés – reste le silence, entrecoupé de quelques bruissements et craquètements. Reste le silence et l’œil de Letizia Le Fur, qui du chaos extrait des fragments.
Dans le cadre de son appareil, elle ne cherche pas à collecter des histoires. Loin du document ou de l’iconographie, ses images composent des strates. Les lignes s’entrecroisent et les motifs se juxtaposent. Les volumes s’aplanissent sous l’effet du flash et les points de fuite remontent à la surface. Il y a une forme de déréalisation, d’étrangeté qui passe aussi par la couleur : patiemment retravaillée, extrapolée, elle tire presque toujours vers le pastel. Paradoxalement peut-être, ce traitement de l’image donne à l’objet un nouveau statut. Entre nature-morte acidulée et magasine déco d’un autre temps, le visible apparaît « de manière oblique » 1 et le rebu est transformé en sujet de désir, ce qui est peut-être le moteur fondamental de toute image.
À l’origine il y a donc le désir et l’illusion – pensons au reflet de Narcisse ou à l’amour de Pygmalion –, deux propriétés que Letizia Le Fur explore dans l’ensemble de ses travaux, dans ses Mythologies (2019-2022) ou dans ses Échappées (en cours) par exemple, jouant avec nos mécanismes de perception pour explorer la beauté – la manière que nous avons de la façonner, de la fantasmer et même de nous laisser duper par elle.
Quel feu brille là ?
L’aube du jour déjà ?
Les lieux en transformation que Letizia Le Fur photographie ne sont pas encore ruines mais sont déjà vestiges. Devant ces images nous sommes cependant loin du vague à l’âme ou de la mélancolie romantique. Il n’y a rien des ruines d’Hubert Robert, de celles de Panini ou de Piranèse, non plus du charme inquiétant d’un memento mori, des méditations de Volney ou de Chateaubriand. Ici se joue plutôt la question du devenir – une notion que Letizia Le Fur emprunte à Deleuze et Guattari – c’est un dire que les espaces qu’elle visite sont en changement, non pas dans leur nature – ils conservent leur mémoire – mais dans leur état, et dans leur rapport à l’Autre. Vestiges d’une grandeur passée, ils sont également promesse et bien plus encore. Le « crépuscule des lieux » s’approche en ce sens du « crépuscule des dieux » de Richard Wagner 3 , en cela qu’il expose le déclin du jour non pas comme simple promesse de l’aube, mais comme portant en son sein cette aube à venir – il la contient déjà, elle est en lui.
À la fois vestiges et aube nouvelle, traits d’union entre passé et futur, ces images s’inscrivent pleinement dans notre quotidien et son éphémérité, ce à quoi renvoient peut-être les mouchoirs sur lesquels elles se matérialisent. D’une grande légèreté, partiellement transparents, constamment à la limite du froissement, ces mouchoirs de soie rejoignent la fragilité des histoires qu’ils absorbent. Ils les accueillent et en symbolisent du même coup le caractère profondément intime.
Car ces maisons sont toujours habitées dans leur intimité. Ici, un dossier marqué par de nombreux frottements ; là, un fauteuil semble encore occupé, en creux. Les lits sont faits depuis longtemps – les meubles plus ou moins rangés – mais la matière est comme imprégnée d’une multitude de traces qui, pour qui leur prête attention, ouvrent autant de portes à l’imaginaire. Au contraire des magasines de déco dont nous parlions plus haut, de ces mises en scène impersonnelles d’objets encore intouchés, ces lieux sont investis d’une mémoire – presque morts, ils transpirent la vie – l’aube du jour, déjà ?
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Mythologies, 2019-2021
Chapitre III Les métamorphoses
Se sentir à l’orée d’un monde et y laisser tomber les oripeaux filandreux d’une mémoire surchargée d’images, pour mieux y entrer… C’est ainsi que j’ai vécu la découverte des photographies de Letizia Le Fur. Comme un désir diffus enfin assouvi, comme une réponse à une longue quête que je ne cessais de mener, cherchant toujours, quasi désespérée, à être tout simplement émerveillée.
Comme toute rencontre à jamais marquante et qui nous fait grandir, celle – rare – avec la beauté, répond souvent à une attente. La mienne fut littéralement comblée par la rencontre avec les images de Letizia Le Fur. Une beauté aussi exubérante dans la forme que dans l’engouement communicatif qu’elle suscite, comme on dirait débordant de vie, d’idées, d’envies, sans retenue ni barrières. Et voilà que je me sentais tout à coup légère, joyeuse, confiante à nouveau dans le pouvoir des photographies à m’amener là-bas, de l’autre côté de ce mur qui sépare péniblement la représentation du « vrai » de l’élan vers la fiction.
Empruntant gaillardement les chemins de la fiction, Letizia Le Fur se libère, et nous avec, des balises formatées du réalisme, qui s’avère souvent bien pauvre quant à l’ouverture sans limites qu’apporte le rêve. Il est bon de perdre ses repères et de se laisser emporter par un récit qui provoque un choc sensitif et convoque en nous une myriade de réminiscences sensorielles pour mieux nous faire prendre conscience, paradoxalement, d’une réalité. En effet, appréhender l’univers qu’elle a intitulé Les métamorphoses, dans lequel je me suis perdue avec jouissance et absolu, me fait ressentir la fragilité de l’Homme, la fugacité du temps, la vanité de toute conquête. Je renoue là avec quelque chose non d’oublié mais de perdu, une bribe de conscience où l’Homme n’avait pas encore la présomption d’être seul maître à bord. Ces réminiscences, prégnantes ou diffuses mais profondément inscrites en nous, semblent autant celles de notre propre enfance que celles de l’enfance d’une humanité qui arpenta cette terre il y a des millénaires et qui construisit, inventa des histoires, des légendes, des mythes, pour mieux conjurer la peur, le mystère, la beauté cruelle de la naissance conduisant inexorablement à la mort, l’amour volage, fugace, absolu. Des mythes auxquels on se raccroche, comme si notre regard seul ne pouvait trouver aucune réponse. On renoue avec la cosmogonie des peuples où ici un taureau est un Dieu, où là, un chien a le pouvoir de changer le monde.
Letizia Le Fur s’est emparée de la photographie et a pris la tangente, volant avec volupté ce que la photographie a de mieux à offrir, n’en gardant que la substantifique moelle, la transformant en un merveilleux support pour mieux la transformer, la transgresser, la retravailler point par point, feuille par feuille, pierre par pierre, exacerbant les couleurs, renouant ainsi avec ses premières amours, la peinture. Ce travail minutieux de recomposition d’images est issu d’une méthode de recherche que Letizia Le Fur a mise en place très tôt, seul moyen pour se mettre au service d’un récit qui s’inscrit dans le champ rare et remarquable de la poésie pure. L’imaginaire est pleinement aux commandes et nous embarque, quelque peu hallucinés, dans un espace-temps où le rêve est – réellement – à portée de regard. Rien ne semble vrai dans ses images, mais paradoxalement nous y reconnaissons notre lien fondamental au cosmos, à la puissante magnificence de la nature – autrement dit, nous y opérons un retour à l’essentiel et à ce qu’il y a de plus simple au monde : la mer, la terre, le ciel, seulement…
Autant les arbres et les plantes paraissent ancrées, semblent se nourrir généreusement des éléments, autant les êtres ressemblent à des fantômes fugaces : apparitions plus que désignations, on se demanderait presque s’ils ne sont pas en train de fuir l’Histoire des siècles à venir. Se montrant ils se cachent, se cachant ils se montrent… Ils semblent plus traverser les éléments ou être traversés par eux que s’emparer de ceux-ci. De passage. Derrière la beauté de ces corps se blottirait-il une peur diffuse, une fragilité, une tentation pas encore vaine de n’être qu’un autre de ces éléments … ?
L’œuvre de la photographe nous ramène à tout ce que nous pouvons aimer quand la puissance de l’esprit éveille l’imagination pour mieux nous faire prendre conscience, nous faire réfléchir sur le monde alentour. Nous ne sommes pas ici dans le souvenir ni dans l’espoir vain de le retranscrire : nous sommes dans une mémoire, une mémoire commune à tous les peuples de la Terre, qui s’est construite sur des mythes, des légendes, des histoires.
Nourrie depuis toujours de textes issus de littérature ancienne grecque et latine, Letizia Le Fur sait le pouvoir de l’imaginaire pour prendre conscience du réel. Elle s’empare d’un thème éminemment contemporain pour le tirer vers la mythologie. Nous tendant un miroir, elle nous renvoie la vision quasi insupportable de ce que nous avons perdu en cours de route. Et s’il fallait toujours affirmer que la photographie est document, dans cette œuvre-ci, il serait tout simplement, humblement, un document sur la vie. Aujourd’hui, on crie, on gesticule comme de pauvres pantins manipulés, en butte à la destruction de notre planète. Contrairement à nombre de ses contemporains adeptes des deux pieds bien sanglés, ancrés dans le constat, en une pirouette fictionnelle, Letizia Le Fur nous rappelle par touches légères, élégantes et brossées que tout récit mythologique nous ramène à l’histoire de l’humanité… Tel Quetzalcóatl qui se mordrait la queue : du contemporain à la mythologie, de la mythologie au contemporain.
Ovide a écrit un texte fondateur, au même titre que les aborigènes qui récitent en chansons la création et la transformation du monde. Du titre donné à cet opus, Les métamorphoses, je conserve l’idée de l’invention d’un récit poétique unique, que j’appliquerai sans vergogne aucune à celui créé par Letizia, manière de retrouver le monde par une autre fenêtre ouverte. En refermant ce livre, je me suis demandé où étaient passées les créatures qui peuplaient nos forêts.
Gilou Le Gruiec, Directrice artistique de la galerie Vu
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À propos de Mythologies (chapitre I, l’origine - chapitre II, l’âge d’or - chapitre III, les métamorphoses)
« Donc, au commencement, fut Chaos, et puis la Terre au vaste sein et le Tartare sombre dans les profondeurs de la vaste terre, et puis Amour, le plus beau des immortels, qui baigne de sa langueur et les dieux et les hommes, dompte les cœurs et triomphe des plus sages vouloirs. »
Hésiode, Théogonie (VIIe siècle av. J.-C.)
Le travail présenté ici sous le titre de Mythologies puise ses racines dans deux passions qui habitent et accompagnent Letizia Le Fur depuis son enfance, la mythologie grecque et la recherche de la beauté.
Guidée par les poètes classiques, notamment par Hésiode et Ovide, Letizia interprète ici librement les mythes, re-visités par sa sensibilité et par une approche esthétique contemporaine.
Sa quête d’harmonie et de beauté telle la pratique d’un culte, en opposition à la laideur et à l’inapproprié est libérée et éloignée des codes en vigueur, inattendue, absolue, parfois secrète. Letizia cherche à transformer et à transcender ce qui l’entoure, à embellir le réel, colorer les gris, s’inventer un monde repaire/repère, où se poser, se réparer, trouver un équilibre au milieu de l'âpreté. A la recherche d’une sorte de refuge esthétique et d’un état de plénitude. Presque une obsession, comme à l’écoute de Stendhal écrivant, dans l’essai De l’amour, « La beauté n'est que la promesse du bonheur ».
Mythologies s’articule en deux chapitres.
Le premier, l’Origine aborde l’ère de la création du monde. Le deuxième, L’Age d’or évoque l’ère de l’harmonie entre les Dieux, la nature et les hommes.
Un troisième volet, en préparation, toujours inspiré par Ovide sera consacré aux Métamorphoses.
Les classiques grecs avec lesquels Letizia a grandi, deviennent un support solide à ses propos narratifs, mais aussi le moyen de traiter de thématiques liées à la société d’aujourd’hui, par métaphores et loin des dispositifs d’auto-fiction, qu’elle redoute et refuse.
L’Origine raconte à travers un univers aux paysages souvent mystérieux comment à partir du désordre et de la confusion, les Dieux ont réussi à invoquer les éléments pour créer l'équilibre. Ici la matière semble vibrer sous l’effet de forces telluriques, pour fondre dans des alchimies chromatiques. La nature est souvent hostile, âpre; des parois de pierre insurmontables et infranchissables, des étendues minérales inhospitalières impressionnent par leur puissance écrasante face à l’impossibilité des hommes.
Dans la deuxième partie, L’Age d’or, le monde végétal prend le dessus et la nature figée se réveille dans une explosion de couleurs, les plaines ondulent, les plantes se dressent et s’entrelacent pour tisser des tapisseries aux fils étincelants.
Apparait parfois l’impression de glisser du mythe à la fable, autre élément fondateur de la littérature et de la psychologie.
Dans cet univers envoutant, magique et sensuel, la figure humaine apparait. Sous la semblance d’un homme, qui arpente l’espace à la découverte du monde. Eternel Ulysse, poussé par la volonté de connaissance, de dépasser toutes barrières pour regarder des nouveaux horizons, de dompter, ou bien de fusionner avec les éléments, parfois en conquérant, parfois en âme vaguante.
L’Age d’or évoque un thème universel, plus que jamais d’actualité au moment de la pandémie, celui de la nécessité d’imaginer un nouveau monde et une nouvelle organisation sociale; contexte propice aux utopies.
Eden perdu ou retrouvé, fait de paysages oniriques où la recherche de l’équilibre et de la perfection demeure constante. Sous bois percés par des lumières « bibliques », buissons irradiés, feuillages cuivrés et arbres qui semblent peints à la feuille d’or. L’amour de Letizia pour la nature, se traduit dans sa capacité à magnifier son environnement, autant les espaces ouverts sur l’horizon que les espaces tanière, les pierres et les plantes. Letizia avec ce don de redessiner le réel transforme même la végétation la plus anodine et familière de nos campagne en somptueuse fresques tropicales et emporte les visiteurs dans des paysages à l’échelle incertaine. Avec ce même amour, elle introduit, guide et parfois semble traquer son personnage à travers des décors de plaines, plages, rochers, champs où le corps élu se fond, émerge, s’impose, trouve sa place dans le cadre, toujours en équilibre et dans un dialogue permanent avec l’environnement qui parfois le défie, parfois l’accueille. Jamais le regard de Letizia ne s’attarde sentimentale ou ne tombe dans le romantisme.
Ces chapitres semblent correspondre aussi aux phases de l’évolution de son travail : après une période foisonnante et un peu chaotique, identifiable avec L’Origine, le surgir - il y a environ deux ans - du besoin d’un mode plus harmonieux, avec la mise en place d’un nouveau projet personnel qui renvoie à l’esprit de L’Age d’or. Au coeur du projet, l’intention d’introduire un personnage et de mettre en scène des images perçues ou rêvées.
Enfin, la suite logique de son processus créatif qui semble annoncer le troisième chapitre, avec l’impression de se métamorphoser elle même.
De ses études aux Beaux-Arts et de ses débuts dans la peinture, avant de s’orienter vers la photographie, émerge la connaissance de l’histoire de l’art, la maitrise de la lumière, l’attention à la couleur. Cette couleur si particulière, ici en tant que photographe, elle travaille comme un peintre, par petites touches. Et, comme un peintre mélange les couleurs sur sa palette, Letizia, dans la phase de post-production, isole et transforme, corrige, ajoute, exalte les tonalités de chaque couleur, les amplifie pour transcender le réel et créer cette sensation de monde irréel, perché entre le fantastique et le rêve… La photographie n’est qu'une esquisse qui seulement après ses interventions devient l’image rêvée et imaginée. Dans cette démarche l'émergence de la photographie numérique a été pour Letizia un cadeau, avec la révélation d’une nouvelle dimension temporelle et spatiale.
Les influences et les références à la peinture et à l’histoire de l’art sont constantes dans l’oeuvre de Letizia, comme quand elle soulève la question de la représentation du nu masculin, très présent jusqu’à la renaissance et ensuite quasiment absent. Ainsi que les questions subsidiaires de comment représenter ce corps en gardant le juste détachement, sans tomber dans la complaisance, ni l’exaltation des clichés, en restituant cette complexité de force et d’audace, de fragilité et de douceur. Face au thème de la figure humaine, comme ailleurs, en s’appuyant sur la mythologie Letizia met en scène ses « figures intimes », avec discrétion et élégance.
Letizia Le Fur se voile et se dévoile derrière ses images, les mots qu'elle concèdent timidement et posent sur son travail révèlent autant sa sensibilité qu'une réflexion approfondie sur la démarche entreprise et permettent de contextualiser la lecture de ses images dans son parcours autant que dans l’histoire de l’art :
« L’origine dans la mythologie grecque représente le chaos, c’est l’ère qui précède la mise en place harmonieuse de la vie sur terre. La nature et les éléments y sont omniprésents et hostiles. Il correspond également à la genèse de ce travail, de ce cycle. C’est également une mise en place du contexte, du cadre, avant de mettre en scène la figure humaine. Avec L’Age d’or on retrouve le double motif du paysage et de la figure humaine. À la Renaissance, le mythe de l’Age d’or connaît un fort succès et est toujours représenté sous la forme de célébration de l’amour, de la fertilité et de l’abondance. Dans mon travail, il s’agit d’une vision du monde contemporain idéalisée, à travers éventuellement le regard discret d’une femme amoureuse. L’âge d’or aujourd’hui et tel que j’ai choisi de le montrer se situerait moins dans une représentation de l’abondance et de la fertilité (dont nous ne manquons pas) mais plus dans l’idée d’un désir de liberté et d’une volonté de s’extraire de la société. Plutôt que d’une communion entre les êtres, il s’agit ici d’un rêve de communion avec la nature, comme réponse à nos inquiétudes et notre culpabilité écologiques. La profusion de personnages, emblématique des tableaux du 16e siècle, est ici remplacée par un homme seul à l’image d’une société contemporaine où l’individualisme prime. « L’âge d’or a toujours permis d’exprimer les questionnements, les inquiétudes et les espoirs d’une société » * D’un point de vue professionnel et personnel, l’âge d’or pourrait correspondre à l’épanouissement de ma pratique artistique à travers ce travail. - Prochaine étape, Les métamorphoses, un projet sur la représentation de la transformation quand elle est motivée par la fuite, la survie ou la conquête. Il s’agit également de ma propre transformation qui opère au fil de ce travail en explorant une représentation peut-être plus abstraite de la beauté. »
*Elinor Myara Kelif « L’imaginaire de l’âge d’or à la Renaissance » 2017
Texte de Laura Serani - Directrice artistique du festival Planches Contact
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