BRANKICA ZILOVIC

De ce monde

Commissariat : Madeleine Filippi

16.05 - 15.06.2024

Communiqué de presse

L’exposition « De ce monde » présente une sélection d’œuvres autour du paradigme de la montagne dans la démarche de Brankica Źilović. Au départ étroitement liés à son histoire personnelle, monts et collines peuplent l’univers de l’artiste depuis ses débuts, mais un déplacement s’opère ces dernières années. La montagne qui était alors un point d’ancrage mémoriel, une réminiscence d’un territoire que l’artiste avait dû quitter à cause de la guerre en Ex-Yougoslavie ; devient aiguillée par ses recherches sur la Pangée et par la cartographie des mondes souterrains d’Athanasius Kircher, une métaphore de la dérive. Celle incontrôlée de l’humain sur son écosystème.

Comme « pris dans le tissu du monde » pour citer Bachelard, l’exposition propose une ode à la montagne et place le spectateur au cœur d’une cartographie altérée. A travers ces jeux de détournements des cartes de Kircher, elle convoque en filigrane les notions de « tremblement » et de « mystère », qui s’inscrivent dans une filiation à l’histoire de l’art et des représentations de la délivrance du discours divin à l’homme que l’on retrouve depuis le bas Moyen-âge. Ici, l’artiste joue subtilement et sans prétention avec les codes et nous livre son propre message. Les fils colorés, brodés, drapant des branchages, ou encore prisonniers du béton suggèrent une temporalité particulière, celle de l’invisible réparation de la nature. La technique du tufting et de la broderie, replace l’action et le corps de l’artiste – et donc de l’humain – au sein du vivant. Ainsi, les nuages de fumées, lits d'eau ou de magma évoquent également les cellules d’un organisme. Cet entrelacement du vivant rappelle un état de symbiose que l’artiste nous invite à retrouver. La nouvelle série de tableaux tapisseries « Mundus subterraneus » quant à elle, instaure une temporalité nouvelle. En effet, ces représentations d’éruptions volcaniques, traduisent l’urgence de la transformation à venir.

À la manière d’une Pénélope contemporaine, Brankica Źilović a recours au fils et au béton pour conjurer le temps dans ce combat écologique. Ici, l’emprunt à l’esthétique de la cartographie est poétique avant d’être politique, et devient une forme d’écriture chez l’artiste. Elle lui permet de questionner et déconstruire notre réalité, et inspire ainsi à abandonner l’illusion de la maîtrise de notre écosystème et une vision prométhéenne de l’Homme. La montagne pour quiconque la rencontre a un effet magique, et immuable, on oscille entre un besoin intrépide de la gravir et de s’y réfugier. Brankica Źilović présente ses entrailles, ce qui se dérobe sous nos pieds. La scénographie quant à elle brouille la temporalité. Il est impossible de savoir si nous sommes à la lisière de territoires, à leur éclosion ou au seuil de leur disparition. Les œuvres présentées fonctionnent en archipels, de manière quasi rhizomique. Les jeux de formats fonctionnent comme autant de récits, dans lesquels le fils dévoile et lie tout au long de l’exposition. Le verbe pourtant cher à l’artiste est ici absent, tel un ultime présage qu’il n’est plus l’heure de discuter, les dés semblent jetés. Il y a urgence : celle d’agir, avant de devenir un vestige, un artéfact de ce monde qui a été. Pour autant, le discours n’est pas défaitiste et reste teinté d’utopie, comme en témoigne l’œuvre Variations de mondes, nature (2023). Ce nid s’épanouissant dans une alcôve de la galerie, est l’indice d’un refuge et l’apologue de cette narration. Autrement dit, la nécessité de se battre contre l’inaction climatique qui va à l’encontre de la survie de l’espèce humaine. L’exposition « De ce monde » est une invitation à penser demain.

__ Texte de Madeleine Filippi, Commissaire d’exposition et critique d’art indépendante (Membre AICA France)

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