Philippine de Salaberry (1993) est une artiste visuelle interdisciplinaire basée à Paris.
Son travail explore les liens entre les données et leurs représentations visuelles, ainsi que les multiples significations que l'on peut leur attribuer. Sa pratique artistique s'articule autour des thèmes de la mémoire, du langage, du cycle, du hasard et de la réparation, explorés à travers la peinture, la sculpture et les techniques mixtes.
Salaberry adopte une approche fragmentaire et oblique de la représentation de soi, choisissant minutieusement des épisodes de sa vie pour les remodeler.
Inspirée par la définition kafkaïenne de la littérature comme une « attaque contre les frontières », elle transpose cette idée à l'art, fouillant, collectant et transformant les choses qui la touchent - et qu'elle touche - pour marquer son passage.
Les œuvres de Salaberry remettent en question les conventions picturales traditionnelles, s'inspirant d'une réflexion théorique sur la représentation et la signification de l’accumulation dans la société contemporaine. Elle interroge les contraintes imposées aux objets, aux matériaux et au corps, tout en remettant en question les frontières entre les disciplines créatives et scientifiques. Explorant de manière délibérément conceptuelle les paramètres imperceptibles des choses qui nous entourent, elle offre ainsi une vision intime et vertigineuse du monde et de nouvelles représentations de la réalité.
Formée en architecture et en design à Paris, Salaberry a développé sa pratique artistique de manière autodidacte à Berlin où elle a travaillé dans l’atelier de Candice Breitz et Alicja Kwade.
Son travail a été présenté à Paris et Berlin.
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2025
Reckoner, Galerie Julie Caredda, Paris
2024
Exsudats, exposition de présentation, Galerie Julie Caredda, Paris
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2024
Palmarès, commissariat Joséphine Dupuy Chavanat, galerie Julie Caredda, Paris
2022
RE-, commissariat : Nicole Beck, Somos, Berlin, DE
Free Wall, LAGE EGAL Galerie, commissariat : Pierre Granoux, Berlin, DE Part de Deux, commissariat : Franziska Harnisch & Mirjam Wendt, Berlin, DE The Ballery Galerie, commissariat : Simon Williams, Berlin, DE
Hot Mess II, commissariat : Yolandé Gouws, Napoleon Complex, Berlin, DE Glascracker, Portes Ouvertes de Poush Manifesto, Clichy, FR
2021
Hot Mess I, commissariat : Yolandé Gouws, Prince Charles, Berlin, DE
2020
Lusted Men, commissariat : Salomé Burstein, collection de photographies digitales 2019 Rencontres Artistiques, commissariat : Galerie T&L, Donjon de Vez, FR
2019
L'ennui, Galerie AdS, Paris, FR
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2015-2016
ATELIER DE SÈVRES, Art plastique et appliqués
2011-2015
ESAG PENNINGHEN, Licence en Architecture et Design
X011 série Exsudats, 2024, peinture à l’huile et acrylique sur toile, 140 x 90 cm, © Photographie par Adrien Thibault
« Le travail de Philippine de Salaberry est à l’image des instants charnières de sa carrière d’artiste: chaque obstacle invite à l’apprentissage et crée des possibilités de transformation. Pour envisager la transformation, seuls la destruction, l’anéantissement permet la renaissance. Pourtant, Philippine de Salaberry ne s’arrête pas face aux vestiges, elle les observe, se les approprie, les rend à leur ironie pour mieux les réparer et les faire revivre. Elle décortique notamment la peinture comme un espace archéologique du présent, comme un écho avec ses choix de vie et de développement de pratique, tout en y déposant une caresse nostalgique de tout ce qui aurait pu être. Comment le présent peut-il être aussi pavé de souvenirs?
Il s’agit, d’une part, d'une leçon personnelle de persévérance, d’approche de la peinture dans son essence de matière: la sortir de sa propre image pour lui donner finalement une existence propre. D’autre part, son travail s’immisce comme un fil conducteur complexe de nos relations aux objets et à notre environnement. Leur limitation à un usage, l’oubli que nous leur imposons et enfin, le rejet, ultime, sans percevoir l’idée des conséquences d’un tel rejet. Les oeuvres de Salaberry nous pousse à sortir d’une vision personnelle de nos habitus, la décadrer pour décrypter l’effet de notre fausse légèreté matérialiste. S’y inscrit alors la poésie des possibilités suspendues face au poids arrogant des décisions à prendre, décisions dont nous ne sommes jamais les véritables protagonistes. »
Lorraine de Thibault
Autrice et Directrice de la collection Servais à Bruxelles, Belgique
TEXTES
“Chaque pas est compté, aux battements de cœur près. Les montres connectées et smartphones transforment chacun de nos mouvements en données. Nous nourrissons deux corps, l’un organique, l'autre numérique et chacun d’eux est scruté avec la même attention pour des motifs médicaux, sécuritaires, publicitaires… Les datas cristallisent des enjeux qui nous échappent parce que pour la plupart nous avons du mal à les visualiser. La démarche de Philippine de Salaberry s’appuie sur un ensemble de données personnelles qui peuvent être celles de ses cycles de sommeil ou celles de ses entraînements sportifs. Un itinéraire, un rythme, une pulsation… Des éléments qui échappent pour la plupart à la conscience prise dans l’habitude. Se rappelle-t-on d’une bonne nuit de sommeil, de toutes les courses que l’on a pu faire ?”
Henri Guette, critique d’art.
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Philippine de Salaberry - relier les points
Chaque pas est compté, aux battements de cœur près. Les montres connectées et smartphones transforment chacun de nos mouvements en données. Nous nourrissons deux corps, l’un organique, l'autre numérique et chacun d’eux est scruté avec la même attention pour des motifs médicaux, sécuritaires, publicitaires… Les datas cristallisent des enjeux qui nous échappent parce que pour la plupart nous avons du mal à les visualiser. La démarche de Philippine de Salaberry s’appuie sur un ensemble de données personnelles qui peuvent être celles de ses cycles de sommeil ou celles de ses entraînements sportifs. Un itinéraire, un rythme, une pulsation… Des éléments qui échappent pour la plupart à la conscience prise dans l’habitude. Se rappelle-t-on d’une bonne nuit de sommeil, de toutes les courses que l’on a pu faire ? Tout cela permet de saisir un quotidien, voire une intimité mais est-ce pourtant là que réside le contour d’un individu ? L’artiste dans l’exposition Reckoner relie poétiquement des points mathématiques, travaillant avec des algorithmes, elle propose des transcriptions par la sculpture ou la peinture. Dans le champ de la littérature, Charly Delware avec Databiographie a imaginé réinventer le genre de l’autobiographie par les chiffres, moyen a priori objectif et sûr de parler de soi tout en éveillant les consciences sur les outils de surveillance et d’autosurveillance dont nous disposons dans la moindre de nos poches. Le propos de l’artiste n’est pourtant pas d’idéaliser une transparence ou de rendre compte de sa vie.
Les Exsudats de Philippine de Salaberry ont paradoxalement quelque chose d’opaque. La peinture qui traduit la concentration de données par des intensités de couleurs ne cherche pas la lisibilité, elle lisse la touche. Dans ces jeux de couleur, entre l’ocre et le bleu, en fonction du type de données retranscrits, on pourrait reconnaître une peinture de nuages au coucher de soleil. Un cloud cette fois-ci très concret. On peut penser au Regulus de Turner, cette toile dans laquelle le peintre britannique cherche le point de vue d’un homme auquel on a arraché les paupières, rendant l’impossibilité de l’ombre. Il y a peut-être là une image de ce que le numérique, hypermnésique, change à nos vies… Les peintures Philippine de Salaberry ne se résument ainsi pas seulement à ce que l’on voit ou ce que l’on peut interpréter ; elle n’en travaille pas seulement la face mais aussi les tranches assumant toute la matérialité du support. La peinture qui souligne le cadre, en brouillant les contours de l’objet, joue ainsi de l’impossibilité de se défaire de nos auras numériques. L’artiste relie les points, littéralement, en revenant sur la toile avec des clous qu’elle soude les uns aux autres comme une trajectoire qui informe la lisibilité, fait se superposer les plans de réalité. L’artiste relie les points de ces moments où le corps s’oublie. Au-delà d’une recherche de performance, la course s’apparente à une dépense d’énergie. Les cycles de sommeil à partir desquels elle travaille par ailleurs sont du même ordre, allant au-delà de l’épuisement. Ses sculptures élargissent le champ des perceptions. Leurs formes, la façon dont les lignes travaillent le vide, renvoie à la façon dont Bachelard assimilait l’air aux songes au travers du mouvement. Elles mettent en valeur des circulations, jouent des regards. On pourrait dire qu’elles rendent visible.
Henri Guette
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Débuté en 2020, le projet Réparer le réel de Philippine de Salaberry s’inscrit dans une démarche de redonner vie à des objets ordinaires, victimes d’accidents ou de notre désintérêt. En sublimant des fragments épars de vingt-cinq verres brisés, l'artiste les sauve du triste sort réservé à ces objets dans nos foyers, souvent balayés sans ménagement à l’aide d’une « pelle à balayette ». À travers cette démarche, Salaberry invite à une réflexion sur ce que l’on rejette, ce que l’on considère comme excédentaire ou inutile.
Le projet ne se limite pas à ce que l’on ne veut plus, il aborde aussi ce que l’on redoute : l’imprévisible. Plus qu’une critique politique de notre rapport utilitariste aux objets, Réparer le réel interroge les conséquences de l’accident et du hasard. À la manière du kintsugi japonais — cet art ancestral qui répare bols, tasses et théières avec un soin méticuleux —, Salaberry transcende la simple réparation en ajoutant un travail esthétique sur la couleur.
Ce bleu éclatant attire le regard et introduit une tension entre la fluidité du liquide et la fragilité du verre brisé. Il ne s’agit pas de reconstituer les objets à l’identique, mais de trouver un équilibre précaire entre les fragments choisis. Chaque éclat devient une pièce maîtresse du nouvel ensemble, où l’intention artistique se mêle aux hasards du bris.
Cette dimension fragmentaire, volontairement inachevée, s’oppose à une vision de l’œuvre d’art comme un objet figé et fermé. Elle invite, au contraire, à une perception mouvante et multiple. La rencontre entre l’ombre et la lumière, au cœur du projet, est sublimée par le jeu des reflets et des contrastes entre le verre brut et translucide.
La sculpture permet d’ajouter une nouvelle dimension à ce dialogue millénaire entre ombre et lumière : celle de l’espace physique. Les compositions de Salaberry piègent le regard et invitent l’observateur à se déplacer autour de l’œuvre. En variant les points de vue, en découvrant les variations d’éclairages et les jeux d’ombres, le spectateur devient lui-même co-créateur de l’œuvre. À travers cette interaction, chaque prisme, chaque focale, enrichit la perception de l'œuvre, rendant chaque expérience unique.
Antoine Silvestre, Doctorant en littérature et stylistique